Fascination du Japon

Le Japon occupe une place toute particulière dans ma vie comme dans mon parcours photographique.

J'ai eu l'immense chance de pouvoir m'y rendre à quinze reprises depuis 1993, date de mon premier périple extrême-oriental. Il m'emmena en Chine, à Hong-Kong, en Corée du Sud et en Thaïlande. Destinations fascinantes oh combien... et pourtant c'est au Japon que j'ai réservé l'essentiel de mes périgrinations. Une passion dévorante aujourd'hui partagée avec ma femme, qui adore ce pays et particulièrement ses spécialités culinaires.

Si je devais regrouper tous mes séjours dans l'archipel, j'en arriverais à au moins six mois. Beaucoup de temps à sillonner le pays par monts et par vaux en train, de ville en ville, sur trois des quatres îles principales du Japon. Honshu, Shikoku et Kyushu... de Sendai à Kagoshima en passant par Tokyo, Kyoto, Osaka, Hiroshima et Fukuoka... et tant d'autres lieux parfois hors des sentiers battus, du Pacifique à la Mer du Japon.

Il y a deux facettes prépondérantes du Japon qui ressortent aux yeux des occidentaux que nous sommes... le Japon du XXIème siècle, à la pointe de la technologie, de la robotique, sans cesse en mouvement et d'une frénésie de création sans égale dans notre monde actuel... et l'ancien Japon, porteur de traditions séculaires, à l'histoire deux fois millénaire, fier de son passé, de sa culture, dont nous avons certainement beaucoup de choses à apprendre.

Passionné d'histoire et de culture, c'est pour ma part l'ancien Japon que je préfère.

Au travers de ses paysages et ses jardins, de ses milliers de temples bouddhistes et sanctuaires shinto, à travers la floraison des cerisers jusqu'à l'embrasemment automnal des érables, le Japon m'a appris à être un photographe beaucoup plus contemplatif. De portraitiste à la base, j'ai l'impression qu'il m'a appris à devenir aussi paysagiste. Les japonais eux-mêmes sont d'éternels amoureux de la nature et d'un naturel toujours curieux et enthousiaste.

Je crois pouvoir affirmer qu'il n'y a pas de peuple plus pragmatique à faire le pont entre la modernité et les traditions. L'un est aussi indispensable à l'autre, indissociable. A notre notion d'opposition, les orientaux préfèrent celle complémentarité. Le Japon, telle une éponge, a absorbé depuis 150 ans ce qu'il a cru de meilleur dans la culture occidentale sans jamais renier ses valeurs et son passé.

Même si y vivre représente à longue une gageure pour un occidental, à chaque séjour dans ce pays, je m'y sens pourtant presque comme chez moi. C'est un peu ma seconde patrie tant j'ai de l'affection pour ce pays si lointain de mon Hélvétie natale et pourtant si proche sur tant d'aspects. J'y ai souvent reçu bien des preuves d'affection et d'amitié profonde de la part de ses habitants... de ses femmes particulièrement.

Cette passion si forte pour le Japon m'a permis dans les moments les plus douloureux de rester en vie et de conserver la foi. En retour, ce pays m'a tant donné d'émotions et de joie qu'il me sera impossible de ne pas y retourner dans le futur.

A ce jour, je compte 15 séjours dans l'archipel, représentant plus de six mois de ma vie. Ma compagne a elle aussi embrassé le Japon pour des raisons plus culinaires et sais aussi s'émerveiller avec des yeux d'enfant devant ce pays sans cesse en mouvement.

Les "ama"... plus qu'une passion.

J'ai hésité très longtemps avant de glisser quelques uns de mes clichés sur ces sirènes d'un autre âge. Il y a la légende... il y a l'endroit... il y a tout les souvenirs qui s'y ajoutent et qui me sont si chers.

Quand je suis parti au Japon pour la première fois lors d'un long périple qui m'avait mené en plus en Corée du Sud, à Hong Kong (alors britannique) en Chine puis en Thaïlande, à un âge où l'on ose toutes les folies, je m'étais dit qu'il fallait absolument que je puisse voir de plus prêt ces sirènes. Ce fut fait un jour d'octobre 1993. Toba, petite ville de 30'000 habitants sur la baie d'Ise, non loin des grands sanctuaires shinto de Ise Jingu (Naiku et Geku).
Il pleuvait à verse ce jour-là. Comme beaucoup de touristes étrangers, j'ai franchi la passerelle de l'ìle Mikimoto pour visiter le musée de la perle et assister à ma première démonstration des "ama", les femmes de la mer, pêcheuses d'algues et de perles. légendes deux fois millénaire chantées dans les vieux poêmes du Japon, notamment dans le Man Yoshu. Assis dans le salon des visiteurs, j'ai photographié leurs arabesques pour la première fois. Captivé, j'avais demandé à mon guide si je pouvais assister à la démonstration suivante qui se déroulait 40 minutes plus tard. J'ai alors découvert qu'il y avait plusieurs "ama" différentes, plusieurs styles et façons de plonger. Ce fut le coup de foudre.

Ma technique était de shooter en rafale à haute vitesse d'obturation. A cette époque je n'avais pas d'objectif très puissant. Mon 80-200 s'avérait un peu limité... et à partir de 1995, je commence à opérer avec un 400mm bien plus adapté. Un Sigma 150-500 a fait l'objet de test en 2009 mais pas trop concluant. Avec le numérique, fini les quelques 50 bobines de films sur deux appareils que je transportais. J'optais alors pour un doubleur de focale monté sur mon zoom 70-200 2.8 bien plus rapide en mise au point bien que peu lumineux. Pour ce genre de travail, il faut que je m'équipe de téléobjectifs plus performants désormais.

Combien de clichés depuis cette première fois ? Je pense dépasser les 10.000 au fil de mes différentes études photographiques consacrées à ces sirènes d'un autre temps. J'ai passé de très longues heures et parfois des journées entières sur cette île. J'y ai fait des rencontres qui pour certaines m'ont touché. En 1995, je fais connaissance de Miyuki Ito, qui travaillait comme hôtesse sur cette île. Les femmes sont toujours plus curieuses et avenantes que les hommes au Japon. Nous avons longtemps conversé des heures entières et noué des liens qui devinrent épistolaires durant de longues années. Même après qu'elle ait quitté Mikimoto pearl Island, nous avions un lien. Nous nous sommes connus grâce aux "ama"... et nous le savions bien. Miyuki et moi nous sommes depuis un peu perdus de vue, c'est la vie... mais d'autres contacts me sont toujours permanents sur l'île. La meilleure amie de Miyuki, Yuko Inoue, ne manque jamais de venir à ma rencontre à chacune de mes visites à Toba.

Les amasan me connaissent certainement depuis le temps. Elles savent que je viens avant tout pour les retrouver et les admirer. Au fil de mes visites, j'ai vu de nouvelles personnes arriver, d'autres plongeuses prenant progressivement leur retraite mais certaines sont toujours là. Comme Okumura Miyaki et Hagino Harumi qui vont aujourd'hui sur leurs 55 ans et sont certainement les doyennes de l'équipe... le nombre de ama ne cessant de diminuer en fil des années. Nos retrouvailles sont toujours émouvantes... et j'ai reçu le témoignage des plus jeunes ama qui me disent combien elles apprécient l'intéret que je leur porte depuis toutes ces années.

Je ne puis que formuler que le rêve se perpétue encore et toujours... et prier pour cela. Même si le temps, inexorablement, fait son oeuvre....